La période du Moyen Age, qui s'étend de la fin du Ve siècle au début du XVe, sera marquée (exception faite pour le XIIIe siècle), et la fabrication du pain n'y échappera pas, d'obscurantisme, de stagnation, d'exactions et de désordres.

L'art de la panification progressera peu, longtemps dans les villes, durant des siècles dans les campagnes, cette fabrication demeurera familiale.

Cependant, dans les cités, peu à peu, des boulangers feront leur apparition, un métier, une profession, prendront naissance.

Il est bon de noter, ici, que l'histoire du pain, pour la France, va s'identifier à celle de la boulangerie parisienne. Parmi les raisons qui l'expliquent, l'importance de l'agglomération que représente la capitale et sa situation, au milieu des riches terres à blé que sont la Beauce et la Brie, paraissent les principales.

Dès que la boulangerie aura pris un peu d'importance, elle s'organisera, l'autorité d'alors lui donnera des structures, structures qu'elle conservera, en gros, jusqu'à la Révolution française. Au début du VIe siècle, on recommence à construire des fours de caractère primitif, pour assurer la cuisson du pain qui représente, alors, la principale étape de la panification.

Du ne au VIIIe siècle, des boulangers apparaîtront dans les grandes cités.
Charlemagne durant son règne (VIIIe siècle) s'en préoccupe et ordonne: " Que le nombre de boulangers soit toujours tenu au complet et que le lieu de travail soit toujours tenu avec ordre et propreté."

Toutefois, le droit de construire le four, dès cette époque et jusqu'à la fin du XIIe siècle, est réservé au roi ou au seigneur.

Eux seuls peuvent couvrir les frais de sa construction, assurer son entretien, lutter efficacement contre le risque du feu. Pour plus de sécurité, le four est isolé des groupes d'habitation. Durant cette période, il est presque toujours contigu au moulin où, après broyage du blé, le produit obtenu "la boulange" est tamisé par le boulanger, connu alors sous le nom de talemelier, ou le bourgeois, lorsque ce dernier, ce qui est alors très fréquent, confectionne son pain lui-même.



A noter au passage que les refus qui résultent du tamisage, les gros sons, sont utilisés à l'élevage des porcs que les talemeliers et les particuliers assureront dans Paris jusqu'à la fin du Moyen Age où, par mesure d'hygiène, cette pratique sera interdite. Talemeliers ou particuliers sont assujettis au droit de banalité, qui les oblige à payer des droits élevés au propriétaire "le roi ou le seigneur" du four banal. Ainsi les premiers boulangers en sont réduits, lorsqu'ils ne confectionnent pas la pâte chez eux, à n'être que de simples débitants.

Cet état de choses freine beaucoup le développement de la boulangerie mais, par suite des abus qu'il suscite parfois, Philippe-Auguste (1180-1223) va permettre aux boulangers d'avoir un four chez eux et, quelques années plus tard, saint Louis (1226-1270) affranchira les villes de la banalité des fours. De surcroît, à la fin du xlIIe siècle, Philippe le Bel (1285-1314) autorisera les bourgeois à construire un four chez eux.

Toutefois les fours banaux ne disparaîtront complètement de l'agglomération parisienne qu'à la fin du XVe siècle et subsisteront encore dans les campagnes, des siècles durant. A noter encore qu'à la fin du XIVe siècle les précautions contre le feu redoublent et qu'un édit de Charles VI obligera les boulangers et les propriétaires de four à prévoir un espace entre le mur mitoyen et le mur extérieur du four; règle qui persiste toujours sous le nom de "tour du chat".

Le pain qui, dès cette époque lointaine, représente l'aliment de base, pousse l'autorité à réglementer sa fabrication et la profession qui le produit. Elle veillera à ce qu'il n'y ait pas de fraude sur la qualité de la farine, à ce que le poids et le prix soient respectés et qu'en tout état de cause et surtout en période de disette le pain ne manque pas.

Comme la boulangerie fait son apparition en France en même temps que la monarchie, elle est, bien entendu, comme toute chose, sous la dépendance de l'autorité royale. A partir de la dynastie des Capets, durant tout le Moyen Age et jusqu'à la fin des Temps modernes c'est le prêvôt de Paris qui réglemente tout ce qui a trait à l'organisation de la profession.

Et l'un d'eux, parmi les plus célèbres, Etienne Boileau, rédigera sous le règne de saint Louis, le Livre des métiers qui constitue une véritable charte des métiers de l'époque. Les corporations de métiers dont on connaît mal l'origine voient leurs usages codifiés et, pour la boulangerie, cette charte coincide avec l'époque de son développement: possibilité, depuis quelques années, d'avoir leur four chez eux.

La corporation, qui est composée de l'ensemble des artisans qui coopèrent à l'intérieur du métier, comprend trois catégories: les apprentis qui apprennent le métier, les valets qui l'exercent et les maîtres qui ordonnent et sont propriétaires de la boulangerie. Pour exercer le métier de boulanger on doit posséder le brevet de maîtrise, acheter le métier au roi ou au seigneur et payer annuellement le droit de hauhan.


Antérieurement à la rédaction du Livre des métiers l'accession au droit de maîtrise ne comportait aucune exigence préalable. Toutefois, pour l'obtenir il fallait passer un examen devant les gardes du métier ou jurés qui étaient les mandataires de l'ensemble des maîtres talemeliers. Après la parution du Livre des métiers, chacun des membres de la corporation a ses droits et ses devoirs mieux définis et la corporation est organisée avec plus de rigueur.

Vers la même époque, pour Paris, l'autorité royale sera représentée auprès des boulangers par le Grand Panetier. Son autorité, qu'il détient directement du roi, est assez limitée. I1 est en fait sous la juridiction du prévôt de Paris et assez souvent en conflit avec lui.

I1 a comme adjoint ou lieutenant un maître boulanger qui prend le titre de maître des boulangers. Le plus grand rôle du Grand Panetier et de son lieutenant est de consacrer la maîtrise des boulangers et de réunir les maîtres pour choisir, parmi les plus intelligents, douze d'entre eux qui prennent le nom de jurés ou de prud'hommes et dont le rôle est de veiller à la bonne exécution des règlements qui régissent les membres de la corporation.

Ils contrôlent la qualité de la fabrication, protègent l'apprenti et le valet. En outre quatre jurés accompagnent le maître des talemeliers dans la tournée d'inspection hebdomadaire qu'il effectue pour veiller à la bonne qualité du pain et au respect des poids.

La charte des métiers fait une large place aux rapports entre les différents membres de la corporation et aux règles d'accession à la profession et à la maîtrise. L'apprentissage débute parfois à l'âge de 10 ans, le plus souvent à 12; il dure en moyenne trois ans. Le nombre des apprentis est réglementé.

L'apprenti bénéficie des conseils du valet, de l'aide maternelle de la maîtresse, de l'instruction du maître. Les jurés contrôlent l'apprentissage, s'assurent des qualités morales du maître, du bon traitement de l'apprenti et de la qualité de la formation professionnelle qu'il reçoit.



Pour parvenir maître un apprentissage de trois à cinq ans est nécessaire et le candidat doit être de religion catholique. Bientôt un stage de deux à trois ans est exigé. Ce stage obligatoire marque, au début du XIVe siècle, le début du compagnonnage: le valet devient compagnon et a, dès lors, le droit de former un apprenti.

C'est à cette époque que la présentation d'un chef-d'uvre, pour accéder à la maîtrise, entre dans les moeurs, elle devient obligatoire à la fin du XIVe siècle et le restera jusqu'à la fin du XVIIIe. Le candidat doit en outre produire ses certificats d'apprentissage et de compagnonnage.

Les droits exigés pour parvenir à la maîtrise sont de plus en plus lourds, tandis que les fils de maître sont pratiquement dispensés de la présentation du chef-d'uvre. Toutes mesures qui rendent l'accès à la maîtrise de plus en plus difficile aux compagnons et les corporations de plus en plus impopulaires.

Par lettres patentes de mars 1659 Louis XIV donne le jour à de nouveaux statuts qui en gros reconduisent les anciens.
Les jurés sont confirmés dans leur rôle.
L'apprentissage est fixé à trois ans mimimum.
Deux années de compagnonnage sont exigées pour tout candidat à la maîtrise.

Nul ne peut être reçu maître s'il n'est pas de religion catholique, apostolique et romaine.
Tout compagnon qui change de maître est tenu de produire un certificat de travail pour son réemploi.

En 1719 nouveaux statuts...
La ebarge de Grand Panetier est abolie. Les boulangers relèvent désormais de la juridiction du prévôt de Paris.
Les particuliers n'ont plus le droit de cuire du pain chez eux.

Tout compagnon candidat à la maîtrise doit effectuer trois ans d'apprentissage et trois ans de compagnonnage..
Les difficultés du compagnon pour ebanger de maître sont aggravées: avant de quitter sa place le premier doit un pré-avis de 15 jours au second.
Durant le règne de Louis XVI les corporations sclérosées, vont subir de rudes assauts. Tantôt abolies, comme en 1776, puis rétablies quelques mois plus tard, mais fortement amendées, elles seront, par lettres patentes du 1er avril 1783, remplacées par un statut notablement plus libéral. La jurande est supprimée. Des députés élus par leurs pairs dans le cadre de l'arrondissement ou du quartier, désignent des syndics qui se substituent aux jurés.

Les candidats à la maîtrise n'ont plus à justifier de la religion catholique; il leur suffit désormais: s'ils sont fils de maître. de justifier de deux ans d'apprentissage et d'avoir 18 ans; s'ils ont été apprentis chez des maîtres de Paris, de justifier de trois ans d'apprentissage et d'avoir 20 ans; s'ils viennent d'ailleurs, d'avoir 25 ans accomplis; de subir, en outre, un examen de trois députés en exercice et de syndics ou de leurs adjoints, durant lequel, pendant deux heures, le candidat doit faire la preuve de ses capacités.

Mais ces statuts seront de courte durée: la Révolution française par les décrets des 2 et 17 mars 1791 supprime définitivement les corporations de métiers.



Confréries et compagnonnage, durant de nombreux siècles, ont occupé une place importante en boulangerie: c'est à partir du XIIe siècle qu'ils se manifestèrent.
Les confréries groupaient maîtres et compagnons. Elles avaient pour but:
1) d'unir leurs membres dans la prière envers Dieu pour le bien des vivants et des morts;
2) d'exercer la solidarité en faveur des infirmes et des vieillards de la profession.

Après avoir pris saint Pierre aux Liens, puis saint Lazare, comme patron, les talemeliers, à partir du XIVe siècle, adoptèrent saint Honoré dont ils célébrèrent la fête au mois de mai, fête qui, dans certaines régions, est célébrée aujourd'hui encore.

Accusées, durant le XIVe siècle, de favoriser la débauche, les confréries seront, plus tard, par ordonnance royale de 1539 supprimées sur tout le territoire. Mais en province, elles subsisteront et ne disparaîtront vraiment qu'avec les corporations.

Les associations de compagnons groupent les ouvriers d'un même métier et prennent le nom de Devoir. Elles assurent leur protection durant leur formation et, surtout, au cours des déplacements de leur tour de France.

Le titre de compagnon est décerné après 5 ans de pratique et sur présentation d'un chef-d'uvre. Devenu maître, le compagnon remercie son Devoir, un certificat lui est délivré et il reste toujours, en signe de reconnaissance, uni à ses anciens Compagnons.. Les sociétés de compagnons sont prospères en boulangerie et survivent à la Révolution de 1789 mais perdent beaucoup de leur influence durant la deuxième partie du XIX siècle.

L'artisan qui panifie a été, au cours de lhistoire, connu sous plusieurs noms. Chez les Romains, il répondait à celui de pistor d'où est sorti le terme de pétrin.

Au début du Moyen Age et jusqu'au XIIe siècle on le désigne sous le nom de « talemelier » dont la signification demeure imprécise. Le nom de a boulanger » qui succéda à celui de talemelier aurait trouvé son origine dans la forme de boule, longtemps donnée au pain qu'il fabriquait.

Quant au terme de « pain », chez les Grecs artos, il viendrait du latin paris et sa genèse, elle aussi, nous est mal connue.
Tout au long du Moyen Age et d'une partie des Temps modernes, la technique suivie pour la fabrication du pain n'a jamais été précisée. On peut penser que les pâtes étaient ensemencées au levain, mais on ignore tout de la fabrication des premières, comme de la préparation des seconds.

Il faut attendre la moitié du XVIIIe siècle pour connaître dans le détail la technique de panification qui était pratiquée à l'époque. Sans doute, du moins dans les capitales et les grandes cités, en était-il ainsi depuis que la communauté des boulangers était organise et se transmettait usages et coutumes, de génération en génération.

Dans les villages et les campagnes où la panification était une activité familiale et où elle le restera, le plus souvent, jusqu'aux débuts du XXe siècle, là encore, était~ce, vraisemblablement, des méthodes ancestrales qui étaient pratiquées.

C'est Malouin qui, le premier, nous apporte des précisions sur l'art de la panification. Une première fois en 1765, dans une description des arts et métiers; une deuxième, en 1771, dans L'art du meunier, du boulanger et du vermicelier.

Parmentier y participe à son tour en 1778 dans Le parfait boulanger.
Comment assure-t-on la fermentation de la pâte par ensemencement au levain Comment réalise-t-on le pétrissage



Déjà, en ces temps lointains, la confection des levains est obtenue avec un morceau de pâte prélevé sur une des fournées du jour, dont le volume, pendant l'intervalle qui sépare deux fabrications, est progressivement augmenté pour aboutir au levain destiné à ensemencer la pâte de la première fournée du lendemain. Ce pied de culture, c'est le « levain-chef ~ ou le « chef », son poids varie de 10 à 20 livres (4,890 kg à 9,780 kg).

Lors de son emploi, la pâte sera bien levée, ni trop jeune (pousse insuffisante) ni trop vieille, car elle serait aigre. Le chef voit alors son poids doublé ou triplé avec apport d'eau et de farine: on rafraîchit ou on renouvelle le levain: il en résulte le levain de première. Six ou sept heures plus tard nouvel enrichissement. Après pétrissage on obtient le levain de seconde qui fermente quatre à cinq heures.

Cette période écoulée nouvelle addition qui conduit au levain de tout point.

Comme le chef, les trois levains se trouvent ainsi successivement doublés ou triplés de volume selon la température ou l'importance de la production.
Le levain de tout point fermente une à deux heures et vient enfin le moment du pétrissage de la pâte.

Plusieurs opérations se succèdent alors: Délayage du levain; frasage de l'ensemble, c'est-à-dire brassage et mélange des ingrédients en deux étapes: un tiers de la farine est mélangé d'abord, les deux tiers ensuite; incorporation du sel dissous lorsqu'il est utilisé, contre-frase ou découpage avec déplacement de la pâte d'un bout à l'autre du pétrin à bras; maniement et pliage de la pâte sur elle-même; découpage et battage avec projection des pâtons du côté opposé du pétrin jusqu'à ce que la pâte soit bien liée.

Le pétrissage est suffisant lorsque la pâte ne s'attache plus aux mains de l'ouvrier. Le travail dure autour de 30 mn.



Pour ensemencer les pétrissées qui suivent, le procédé le plus courant consiste à conserver une fraction de la pâte de la fournée en cours pour la fournée suivante. Toutefois, après la septième fournée la vigueur des ferments faiblit et il est bon, alors, de prévoir la confection d'un nouveau levain si d'autres suivent.

Indiquons au passage que lors de la fabrication de certains pains issus de pâtes très dures, pain de Gonesse, pain brié..., le pétrissage était, après le frasage, effectué avec les pieds nus où, pour plus d'hygiène, chaussés de sacs.

A souligner également que la deuxième partie du XVIIIe siècle voit apparaître les premiers pétrins mécaniques qui ne seront pratiquement pas utilisés.

Malouin et Parmentier parlent du rôle du sel. Son usage, alors, n'est pas courant. Pour l'épargner, les habitants des côtes pétrissent leur pain avec de l'eau de mer. A l'intérieur des terres on fait du pain avec peu ou sans sel. On admet cependant que le sel donne de la ténacité et du corps à la pâte et permet d'obtenir du plus beau pain.

Malouin précise que le sel, pour lui, améliore la saveur. Parmentier ne partage pas entièrement cet avis et n'en conseille l'emploi qu'en cas de panification de farines légèrement avariées pour neutraliser le mauvais goût. Ce n'est qu'à la fin du XVIIIe siècle que le sel devint d'un emploi courant en panification.

Ces deux auteurs nous entretiennent aussi de la levure de bière. Cette dernière aurait été déjà connue des boulangers grecs et romains. A la moitié du XVIIe siècle elle devait également tenter les boulangers parisiens. En 1665, l'un d'eux eut l'idée d'ajouter de la levure de bière au pain de luxe de l'époque, le pain mollet pour en accélérer la fermentation et en améliorer le goût.

Bien que la fermentation soit toujours à base de levain de pâte, cette addition permet d'obtenir des pains plus légers, d'une saveur plus agréable et cette fabrication a un succès considérable. A la Cour, le pain mollet ainsi obtenu est très apprécié. Mais ce succès émeut certains médecins de l'époque.

Les objections sont telles que le roi Louis XIV fait convoquer, en conseil, le 24 mars 1668, 75 professeurs de la faculté pour avis. Après discussion, 30 sont pour, 45 se prononcent contre. Le 13 août de la même année, six médecins et six notables sont chargés d'émettre leur opinion. Les médecins sont divisés, quatre sont contre, deux pour. Les notables font des réserves mais donnent leur accord.

Pour finir, le Parlement, dans un arrêté rendu le 21 mars 1670, autorise l'usage de la levure de bière mais en réglemente l'emploi. Pour Paris la levure doit provenir de la capitale ou de ses faubourgs, elle doit être fraîche et non corrompue. Entre-temps, elle continue à être utilisée, mais toujours comme ensemencement d'appoint. Parmentier précise à son sujet que le mieux est de lemployer associé au levain de pâte.



La cuisson du pain a lieu dans des fours circulaires ou légèrement ovales. L'âtre, ou sole, du four est souvent en terre de potier (argile siliceuse), parfois en carreaux de glaise ou en briques tendres; dans les campagnes beaucoup sont constitués par de grandes dalles de pierre.

Ces dernières ont le défaut, nous dit Malouin, de brûler fréquemment le dessous des pains. Le chauffage est effectué au bois par combustion sur la sole du four. Les pains sont cuits sans buée (vapeur d'eau) et sont de teinte grise. La cheminée est sur le devant du four et les fumées empruntent le plus souvent la porte de celui-ci pour la rejoindre et être évacuées.

Toutefois, à cette époque, certains fours commencent à être équipés de conduits qui, partant du milieu ou du fond du four, relient directement la chambre de cuisson à la cheminé: tirage et combustion en sont facilités.

On doit noter aussi, en cette moitié du XVIIIe siècle, l'apparition des prémices de la chimie de la farine et du pain. En 1742, un savant italien, Beccari, découvre que la farine contient du gluten et de l'amidon.

Un peu plus tard un docteur strasbourgeois, Kessel-Meyer et Malouin parviennent à séparer correctement le gluten de l'amidon. Dès cette époque, on considère que c'est grâce à la présence du gluten que s'explique la supériorité du froment dans le domaine de la panification. Les milieux scientifiques et agronomiques s'intéressent beaucoup à la panification: Parmentier et Cadet de Vaux, de l'Académie Royale d'Agriculture, réussissent, en 1780, à créer une école de boulangerie qui, malheureusement, cessera son activité en 1793.


Longtemps, nous l'avons vu, le boulanger tamisa la farine avant de la panifier. Cela était vrai et le restera longtemps aussi pour les particuliers des villes et surtout des campagnes qui consommaient la farine sous forme de pain et réservaient le son pour les bestiaux.

En outre, assez souvent aussi, le moulin était installé dans les mêmes locaux que la boulangerie.
Toutefois, pour éviter toute tentative d'accaparement sur le blé et la spéculation sur les stocks, cette coutume devait prendre fin au début du XVe siècle: elle fut interdite en 1415. La pratique du blutage de la farine sur les lieux de la fabrication du pain se poursuivit plus avant. Ce n'est que vers 16S0 que les boulangers commencèrent à s'approvisionner en farines tamisées au moulin par le meunier qui en avait assuré la fabrication.

Jusqu'au XIIe siècle, la qualité du pain paraît uniforme, il n'y a de différences que dans le volume. Il existe trois grosseurs différentes, dont le prix est constant mais dont le poids varie en fonction du prix du blé.

Ce sont les jurés qui, selon ces critères, en fixent le prix et en font respecter le poids. Vers la moitié du XIVe siècle, trois catégories de pain, de qualité différente, font leur apparition.

Ils sont de taille assez réduite et sont uniquement fabriqués, en plus de leur fabrication courante, par les boulangers installés à l'intérieur de l'enceinte de la ville de Paris. Ce sont:
1) le pain blanc ou pain de Chaillé;
2) le pain bis blanc ou pain coquillé et, plus tard, pain bourgeois;
3) le pain bis.



Cette production de pains de petite taille vaut aux boulangers parisiens d'être surnommés boulangers de petit pain. Par opposition, les boulangers forains qui viennent des faubourgs ou des bourgades voisines, vendre du pain sur les marchés parisiens, sont connus sous le nom de boulangers de gros pain.

La taille des pains varie souvent et le poids comme le prix de ces derniers font l'objet de nombreuses querelles entre l'autorité royale, les boulangers et les consommateurs.

En 1567, une nouvelle variété de pain blanc vient s'ajouter à celles déjà connues: c'est le pain de Chapitre qui sera surtout fabriqué par les boulangers forains établis à Gonesse. Il sera de ce fait connu sous le nom de pain de Gonesse.

Notons qu'à la fin du XVIe siècle le pouvoir royal s'efforce de réglementer uniformément la fabrication et la vente du pain dans toutes les provinces.

En 1594, à la suite d'exagérations sur le prix, les boulangers se voient contraints, pour en permettre l'identification et le contrôle, d'apposer leur marque particulière et le prix sur leurs pains. Autour de 1630, un pain de luxe fait son apparition.

Il est enrichi de sel, de lait et bientôt de levure de bière: apprécié par Marie de Médicis, il prend le nom de pain à la Reine.

Entre-temps de mémorables disettes 1662,1663, 1692, 1693, 1694sévissent sur le pays et font mesurer tout le prix que représentent, à cette époque, le blé et le pain pour le peuple français.

On fabrique alors le pain avec la farine non tamisée et on utilise toutes les céréales disponibles. En ces périodes on confectionne un " pain de disette " avec de l'orge et le souvenir en demeure toujours vivace à travers l'expression bien connue: "mauvais ou grossier comme du pain d'orge".

Le XVIIIe siècle voit les sortes de pain se multiplier. A Paris pour une faible part, dans le pain de munition pour un tiers et pour moitié ou en totalité dans les provinces au sol pauvre ou au relief montagneux, où le blé a du mal à venir, la farine de seigle est couramment employée à la panification.

Quant à la forme des pains, au début du Moyen Age, elle paraît avoir été uniformément ronde. Par la suite les pains de petite taille seront de forme oblongue, alors que les gros pains, en majorité, demeureront ronds.

Denrée de première nécessité, parfois l'unique aliment en période de disette, le pain a été taxé très tôt dans l'histoire de France. Au VIIe siècle, le roi Dagobert est la première autorité connue à faire usage de la taxation.

Au XIIIe siècle, Etienne Boileau en détermine les critères qui seront durables: l'élément invariable retenu sera le prix et non le poids. Avec des fortunes diverses, jalonnes par de nombreux essais de rendement, la taxe subsistera jusqu'en 1783.

Un fait assez curieux mérite cependant d'être souligné: ce sont surtout les pains de faible taille qui sont taxés avec rigueur. Les gros pains, plus particulièrement ceux qui sont vendus les jours de marché, par les boulangers forains, sont cédés de gré à gré, après marchandage.

Durant la Révolution, la Constituante votera une loi dont l'article 30 donne aux maires la possibilité de taxer la viande et le pain, loi qui, à part quelques rares éclipses, persistera durant toute la période contemporaine et subsistera jusqu'à nous.

Tout autant que la taxation, la vente du pain à crédit et çà et là, le portage à domicile, se confondent avec l'histoire du pain.

Le portage du pain, dans les villes, fut longtemps effectué à dos d'homme, à l'aide d'une hotte. Vendu à la boutique ou porté à domicile, la comptabilité de la vente à crédit était établie à l'aide de la taille.

La comptabilité de chaque client comportait deux tailles: deux planchettes longilignes, en bois blanc, établies à son nom, l'une appelée l'échantillon qui lui était réservée, l'autre, la souche, que conservait le boulanger.

Lors de la remise du pain, les deux planchettes étaient appliquées l'une contre l'autre, et, à l'aide d'un couteau à lame de scie, une ou plusieurs coches étaient marquées correspondant au nombre de pains délivrés. Cette comptabilité originale, mais simple et précise, subsistera longtemps et sera encore très répandue au début du XXe siècle.