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Le pain dans l'expression wallonne

Posté : mardi 28 janv. 2014, 20:54
par Marc
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Extrait de la revue d’histoire locale ; Folklore Stavelot-Malmedy-Saint Vith, tome XLVI de 1982

La recherche entreprise ici est principalement régionale. Chaque fois que le cadre de la Wallonie malmédienne sera dépassé, ce sera signalé. Le titre est un proverbe wallon. Tous les expressions en dialecte seront traduite en notes et lorsqu’il s’agit de parler à portée proverbiale, les traductions d’abord littérale puis du sens seront donné en notes, sur lesquelles il suffit de cliquer pour connaître la traduction.

I n'fât nin k'taper l'pan do Bon Diu [note]1|Traduction littérale : Il ne faut pas gaspiller le pain du Bon Dieu. Trad. du sens : Le morceau de pain que tu jettes manque peut-être à quelqu’un.[/note]
a.- Les proverbes sur le pain et leurs morales.
J’aimerais dans les lignes qui suivent, prôner le respect du pain.
Pour moi, celui-ci peut avoir valeur d'aliment réduit à l'essentiel, il permet de vivre, de marcher, de penser, de parler.
On l'oublie trop vite aujourd'hui, dans une société d'abondance
ou l'on confond faim avec appétit,
ou l'on dira sans rougir que l'on ne sait plus quoi manger,
ou l'on n'écoute plus la personne irritée, ayant connu des périodes de privations, menacer avec cette expression tenace; «C'ést-one pitite guêre qu'y v'fâreut » [note]2|Trad. littérale : C’est une petite guerre qu’il vous faudrait. Trad. sens : Vous devriez connaître des privations.[/note]

Le respect du pain disparu, le morceau de pain jeté, c'est l'oubli de la sueur de son front.
A ce jour ou une heure de travail nous permet d'acheter trois, voire huit pains, le vieux dicton «Vos ave magnî vosse blan pan duvant l’neûr» [note]3|Trad. littérale : Vous avez mangé votre pain blanc avant le noir. Trad. sens : Vous avez connu votre bonne période avant la mauvaise.[/note] nous fait à peine réfléchir, certainement pas trembler comme sa morale le voudrait.
Pourtant, il est indéniable que le pain a joué un rôle important dans notre civilisation.

Il suffit de s'en référer aux «spots wallons» (= proverbe) pour avoir déjà, un bon aperçu de l'importance que le pain a dans notre langage dialectal du sud de la Belgique.
Nous le voyons dans le parler proverbial désigner le travail.
L'expression «gagne-pan» signifiant «salaire» résume bien la situation d'antan; quand «on z’ovrève p'onne pèce du pan» [note]4|Trad.littérale : Travailler pour une pièce portion de pain. Trad. sens: Travailler pour un petit salaire.[/note], on avait certes un petit salaire, mais le sort de «Ci qui s'a fé prinde lu pan foû d'l'armâre» [note]5|Trad. littérale : Celui qui s’est fait prendre le pain hors de l’armoire. Trad.sens: Perdre son moyen de subsistance par la faute d’un autre.[/note] était encore moins enviable, celui-là n'était plus à «pan gagnant, pan magnant» [note]6|Trad.littérale : Pain gagné, pain mangé. Trad. sens : Le travail apporte la nourriture.[/note], Il est vrai qu'il suffisait d'un «magneu d'pan payard» [note]7|Trad. littérale : Un mangeur de pain –payard-. Trad.sens: Vaurien. Il faut dire Bayard est un lieu de Vivegnis-faubourg de Liège- où il y avait jadis une maison de correction.[/note] ou «d'on hapeûr du tâtes à éfants" [note]8|Trad. littérale : Voleur les tartines des enfants. Trad.sens : Celui qui profite de sa force pour s’en prendre aux faibles.[/note] pour se retrouver dans une situation difficile. La victime avait ainsi «Magni s'blan pan d'van l'neur» [note]9|Déjà traduit note 3[/note] . Si l'on avait encore du pain noir, car plus d'un «magnève do l'amér pan» [note]10|Trad. littérale : Manger du pain amer. Trad. du sens: Connaître une période difficile.[/note]. La solution d' «aller à l'tchèsse â croses du pan» [note]11|Trad. littérale : Aller à la chasse aux croûtes de pain. Trad.sens : Mendier.[/note] n'était pas des plus honorables. La famille, le voisinage avait bien sûr, sur la table «on pan copé», (qui) n'a nou mèsse», [note]12|Trad. littérale : Un pain coupé, n’a pas de maître. Trad.sens : Se dit lorsqu’à table, on prend le pain d’un autre.[/note] mais «n'aveûr ni pan, ni pèce» [note]13|Trad.littérale : N’avoir ni pain, ni pièce –portion de pain-. Trad.sens : Etre affamé.[/note] faisait paraître le temps «long come one saméne sin pan» [note]14|Trad. littérale : Long, comme une semaine sans pain. Trad.sens : Excessivement long.[/note] . Il est certain que cette situation n'était pas «do pan bènit» [note]15|Trad. littérale : C’est du pain bénit. Trad.sens: Ce dit lorsqu’un malheur ou un bonheur arrive à quelqu’un qui le mérite.[/note] , à part, peut-être, pour une personne, comme celle «qui n'sé nin coper l'pan, nu l'a nin gagnî» [note]16|Trad.littérale : Celui ou Celle qui ne sait pas couper le pain, ne l’a pas gagné. Trad. sens: Celui ou Celle qui ne sait pas travailler, n’a pas droit aux moyens de subsistance.[/note] ou encore pour ces fiancés; qui ont «èpronté on pan sol cûse» [note]17|Trad.littérale : Emprunter un pain sur la cuisson. Trad.sens: Consommer le mariage avant les noces. Expression en usage en région liégeoise.[/note] .
Là, nos «tchafètes» [note]18|Signifie personne pratiquant le commérage.[/note] ne rataient pas l'occasion de placer leurs commentaires, en disant de lui: «i nu va nin l'pan qu'i magne» [note]19|Trad.littérale : Il ne vaut pas le pain qu’il mange. Trad.sens: Il ne mérite pas le pain qui le nourri.[/note] et qu'elle, elle aurait dû savoir que «tote parole su lèt dire èt tot pan su lét magnî» [note]20|Trad.littérale : Toute parole se laisse dire et tout pain se laisse manger. Trad.sens : On peut dire n’importe quoi, on peut manger n’importe quoi.[/note] . A la place de leurs parents, les commères, elles leur auraient «fé passer l'goût do pan» [note]21|Trad.littérale : Faire passer le goût du pain. Trad. sens: Faire une forte remontrance.[/note] , et puis, on n'élève pas ses enfants en leur «rapwartant on mitchot" [note]22|Trad.littérale : Rapporter une miche. Trad.du sens : Ramener une douceur ou autre cadeau, par exemple dans ce montage, après un retour de voyage ou longue absence.[/note] à chaque retour de voyage. Cela, c'est se faire la vie facile, comme si "fâte du pan, on magn'reu do wastê" . [note]23|Trad. littérale : Faute de pain, on mangerait du gâteau. Traduction sens : Remplacer une valeur commune par une valeur plus grande[/note] En tout cas, elles, elles n'avaient "maye magnî du ci pan là".[note]24|Trad. littérale : Ne jamais manger de ce pain là. Trad.sens: Ne pas tremper dans ce genre d’affaires./note] Et pour conclure, elles disaient malicieusement qu'elles avaient tout deviné en voyant «leûs tièsses come on pan d 'Hollande» [note]25|Trad.littérale : Avoir une tête, comme un pain de Hollande. Trad.sens: Avoir le teint de la peau, blafard, pâle. Voir le post consacré à ce sujet à https://boulangerienet.fr/post293487.html#p293487" onclick="window.open(this.href);return false;[/note] . Ce jeune couple sans expérience risquait «du promète pus d'boûre quu d'pan à ses éfants» [note]26|Trad.littérale : Promettre plus de beurre que de pain à ses enfants. Trad.sens : Promettre ce que l’on ne peut pas tenir.[/note] , car «à prix quu l'pan va» [note]27|Trad. littérale : Au prix que le pain va. Trad. sens: La vie est de plus en plus coûteuse.[/note] celui-ci n'était pas donné «p'on bokèt d'pan» [note]28|Trad. littérale : Donner pour un morceau de pain. Trad.sens : Donner comme chose de peu de valeur.[/note] Il leur fallait encore beaucoup d'épreuves et de courage pour arriver à ce «qu'i n'poléve pu dire do pan ». [note]29|Trad.littérale : Il ne peut plus dire –du pain-. Trad.sens: Il est rassasié.[/note] Dans l'éventualité d'une maladie ou d'un accident, l'on risquait de voir les économies "qu'èn-èvont come des p'tits pans". [note]30|Trad.littérale : Cela s’en va comme des petits-pains. Trad.sens: Cela part -se vend- à toute vitesse.[/note]
«Aveûr su pan cû» [note]31|Trad. littérale : Avoir son pain cuit. Trad.sens: Etre assuré de sa subsistance.[/note]était un souci paternel, bien quotidien. Lorsqu'au premier geste du matin «on drovéve one boke a z'y fé intrer on pan a côps du scordjire», [note]32|Trad.littérale : Ouvrir une bouche à y faire entrer un pain à coup de fouet. Trad.sens: Ouvrir une grande bouche, par exemple dans ce montage bailler le matin en ouvrant grand la bouche.[/note] on savait qu'à chaque journée, il y avait du pain sur la planche, l'on connaissait bien des aventures.
Mais comme on dit : «Ci qui n 'magne quu d'on pan, nu sé nin çou quu l'ôte sawêre" [note]33|Trad.littérale : Celui qui ne mange que d’un pain, ne sait pas ce que l’autre goûte. Trad.sens: On ne peut faire fi de ce que l’on ignore.[/note] et comme le hasard de la vie distribue malheurs et récompenses, il arrivait parfois «qu'on ravére totes ses mitches èn'on pan». [note]34|Trad. littérale : Ravoir toutes ces miches-portions individuelle- en un pain. Trad.sens: Compenser. Rattraper une erreur.[/note] En espérant pour cette personne que ce soit bien avant «qu'i n'âhe pu nou pan qui li sawêre.» [note]35|Trad.littérale : Il n’y a plus aucun pain qui lui goûte. Trad.sens: Sa santé penche du mauvais côté. Il va mourir.[/note]
Même au cours d'une période où le pain venait à manquer l'on savait bien aussi cette chose essentielle: on ne vit pas que de pain [note]36|C’est du «Dictionnaire des Spots ou Proverbes wallons» de Jean DEJARDIN (Société Liégeoise de Littérature Wallonne - 1863) qu’est repris ce type de double traduction (littérale et sens) et d’où est souvent copier le sens recherché par le dicton.[/note] .



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